Avec la fin imminente des énergies fossiles, la course aux énergies renouvelables est lancée. Dans les Hautes-Alpes, les torrents sont propices à la petite hydroélectricité, et les microcentrales y pullulent. Les pêcheurs et la FNE dénoncent une menace pour la biodiversité.

Perché sur un pont d’où il contemple l’eau, Michel Blanchet, biologiste et ancien responsable scientifique au parc du Queyras, fronce les sourcils. L’eau de l’Eyssalette, un torrent de la commune des Orres, est trouble. Un aspect inhabituel que le désormais bénévole à France Nature Environnement (FNE) impute aux travaux de la microcentrale hydroélectrique, une installation qui ambitionne de transformer la force de l’eau en électricité : « La saleté empêche le dépôt des microalgues sur les pierres, qui sont à la base de la chaîne alimentaire », plaide-t-il. Cela fait plusieurs années que le représentant de la FNE05, souvent liée à la Fédération des Hautes-Alpes pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique, bataille contre l’implantation de la petite hydroélectricité dans le département.

La volonté de l’énergie propre
Le projet qui le préoccupe aujourd’hui a été lancé sur le torrent de l’Eyssalette en 2018, pour une mise en service prévue fin 2025. Pour le maire, Pierre Vollaire, à l’origine de l’appel d’offres sur sa commune ce projet fait « partie de l’ADN des Orres ». Il rappelle la démarche de sobriété engagée depuis plusieurs années, et qui a déjà permis de réduire « de 50 % la consommation d’électricité de l’éclairage public, et de 20 % celle des équipements de la station ». Cette microcentrale, qui produira 4,4 GWh par an grâce à l’énergie renouvelable, l’équivalent de la consommation de la commune, le maire y croit dur comme fer : « C’est notre pierre à l’édifice pour lutter contre le réchauffement climatique », insiste-t-il.

En parallèle, Michel Blanchet et Bernard Fanti, président de la Fédération de pêche, s’inquiètent d’une « pression croissante sur les cours d’eau ». Pour les deux hommes, la promesse verte de l’hydroélectricité se limite aux émissions de gaz à effet de serre, sans considérer « la complexité de la biodiversité ». Selon eux, la présence de centrales limite les échanges organiques et minéraux qui font la richesse de la biodiversité des torrents. De quoi arracher un sourire triste à Bernard Fanti : « Notre mantra c’est convaincre, plutôt que contraindre », glisse-t-il en référence à son combat contre les centrales. Avec, au fond de la gorge, le goût amer de l’appât du gain qui domine le bien-être des milieux naturels : « On sait que pour une commune, ça peut rapporter 60 000 euros par an, dans une petite trésorerie ça fait vite la différence », souffle Bernard Fanti.

UNE PRESSION CROISSANTE SUR LES TORRENTS
Pierre Vollaire le reconnaît sans mal, la mairie sera actionnaire à 5 % de la centrale, ce qui représentera un revenu de 50 000 euros par an. Mais pour une commune dirigée par le vice-président des maires de stations de montagne qui a fait le choix de l’ engagement écologique , cet argent importe peu : « Ce qui compte, c’est de protéger ce joyau dont on nous a donné la responsabilité », assure-t-il. Pour la préservation de la biodiversité durant les travaux et après, la commune estime avoir fait le nécessaire : « Le projet est suivi par un écologue indépendant », remarque le maire qui ajoute : « Nous avons fait un gros travail de préservation des zones humides et de l’impact sur la faune et la flore ». Dans son sillage, Aude de Touchet, responsable communication pour France Hydroélectricité, vante les bénéfices de la petite hydroélectricité. Passe à poisson, études d’impact, contournement, vannes pour les sédiments : « Chaque centrale est adaptée à son environnement. Nous faisons de la haute couture », souligne-t-elle. Elle rappelle aussi qu’une fois installée et bien entretenue, la centrale peut durer une centaine d’années.

Malgré les efforts déployés, Michel Blanchet et l’association de pêche sont sceptiques. Le biologiste fulmine et pointe la perturbation du fonctionnement naturel des cours d’eau, en particulier la variation du taux d’oxygène : « Ces changements empêchent le développement de petits invertébrés, comme les Perles, proies des truites bien connues des pêcheurs », précise-t-il dans une énumération d’exemples. Nappes phréatiques, trait de mer et développement des poissons : le scientifique déplore des conséquences en cascade sur les milieux aquatiques. Au-delà de la bonne volonté des municipalités, ce sont les exigences légales qui sont en deçà de l’urgence écologique selon les détracteurs des microcentrales. Sans compter que la multiplication des installations sur les cours d’eau crée un cumul dont les conséquences sur les milieux aquatiques n’ont pas encore été étudiées.

Article et photo : Anaelle Charlier – Dauphiné Libéré du 29 Août 2024.

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