Le Petit Tabuc dans le Parc National des Écrins, le Guil à Château-Ville-Vieille, la Cerveyrette à Cervières… Aucun cours d’eau ne semble épargné par des projets de microcentrales hydroélectriques. « Il y a un effet d’aubaine », indique d’emblée Jean Pasquet, vice-président de la Fédération Départementale de Pêche. « Le mécanisme est bien pensé car lorsqu’il y a une microcentrale, la revente de l’énergie se fait à un tarif préférentiel. De plus, une redevance est versée au propriétaire qui est souvent une commune. Et les communes sont en quête de recettes. Comme pour le photovoltaïque ou l’éolien, les communes sont démarchées. Mais il ne faut pas oublier que c’est le contribuable qui paie via la CSPE, taxe qui contribue au service public de l’électricité », développe-t-il.

Outre ce mécanisme, la Fédération met en avant le « détricotage de la loi », les « dérogations ». « Aujourd’hui, les cours d’eau sont fortement sollicités. Bien que le potentiel restant soit ridicule, on veut turbiner toujours plus haut. Pour que cela soit possible, la loi a été amendée afin de favoriser l’hydroélectricité », complète David Doucende, chargé de mission à la Fédération, hydrologue et ichtyologue de formation. Et de présenter des chiffres nationaux : « Il y a 2 400 petits barrages en France. Cela représente 1 % de la production d’électricité. Si on en ajoute 1 500 de plus, on arrivera à 1,4 % ».

« Aujourd’hui, on ne sait pas combien de projets existent mais 100 % des dossiers déposés sont validés », poursuit-il. La loi permet ces installations et les mesures compensatoires (passe à poisson, débit réservé) sont dérisoires. « Nous sommes démunis car aucun aspect réglementaire ne nous permet de déposer des recours », commente David Doucende.

La loi sur l’eau de 2016 a créé les réservoirs biologiques mais, via des amendements à la loi, « il y a la volonté d’aller dans des secteurs jusqu’alors préservés. C’est par exemple le cas du torrent des Vachères, sur l’Ayes ou la Cerveyrette. Le linéaire de cette dernière est de 20 km avec la partie amont en réservoir biologique. Dix sont concernés par l’hydroélectricité ».

« Il n’y a plus un mètre de la rivière qui n’est pas touché. Notre patrimoine paysager, même si on ne peut pas lui donner une valeur numéraire, est menacé », martèle Jean Pasquet. « Un pêcheur, c’est avant tout un amoureux de la nature. On parle d’une énergie verte mais en réalité, on saccage des milieux, on les bétonne, on saucissonne les cours d’eau. »

UNE ENERGIE PAS SI VERTE
À chaque fois qu’un projet d’installation est connu, la Fédération de pêche fait un inventaire pour avoir plus de connaissance sur l’état du milieu et des poissons. « Dans les Hautes-Alpes, on a une population de poissons d’eau froide comme la truite sauvage méditerranéenne. Sur la tête du bassin-versant, la population arrive à se maintenir. Si on turbine plus haut, là où le poisson se met à l’abri, on va mettre en péril les espèces car on dégrade la capacité de résilience des espèces. Et ce n’est pas une passe à poisson qui sera suffisante », explique David Doucende.

LA POPULATION QUI REAGIT PEU
Les projets étant connus au compte-gouttes, il est difficile de mesurer l’impact direct d’une installation sur le milieu. Le recul manque. Toutefois, « quand on voit les constructions de Crévoux ou Réallon, on voit les dommages collatéraux pour la pose d’une conduite, la coupe d’arbre pour la création d’une piste… »

La population réagit peu lors de projet d’hydroélectricité. « Si on dit, on va mettre deux éoliennes à Charance, il y aura immédiatement une levée de boucliers. Pour l’hydroélectrique, on ne voit rien », compare David Doucende. Pour sensibiliser la population à cette problématique, la Fédération a noué des contacts avec le collectif Hydromanifeste, écrit aux parlementaires, au secrétaire d’État à la ruralité Joël Giraud qui a porté quelques amendements. Avec en tête, un seul objectif : alerter et protéger les milieux naturels.

https://www.truites-et-cie.fr/article/environnement-gestion/leurre-mouche-toc/manifeste-pour-la-protection-des-milieux-aquatiques

UN COLLECTIF VEUR PROTEGER LES COURS D’EAU
Le collectif haut-alpin pour la protection des torrents et rivières regroupe des associations (SAPN – FNE 05, LPO…), des syndicats d’aménagements professionnels et des citoyens attachés à la défense des cours d’eau contre les projets de microcentrales hydroélectriques. Le collectif est soutenu par des amoureux de la vie sauvage, des pêcheurs, des amateurs de sports d’eau vive, naturalistes, randonneurs…

Le collectif, estimant que l’équipement déjà important et la multiplication excessive des réalisations et projets de microcentrales hydroélectriques sur les cours d’eau des hauts bassins de la Durance et du Drac, se mobilise pour : préserver les milieux naturels et leur libre évolution  ; prendre en compte l’impact des modifications artificielles des débits et permettre la bonne continuité écologique ; maintenir la vocation récréative des cours d’eau et des paysages ; mettre en balance les retombées économiques et énergétiques de ces équipements avec les coûts financiers et environnementaux supportés par les citoyens et la nature  ; refuser le caractère opportuniste de chaque projet hydroélectrique et l’absence de vision globale à l’échelle des bassins-versants du département ; assurer une transition énergétique respectueuse de la biodiversité ; mettre en place une réflexion coordonnée intégrant tous les autres usages de l’eau (enneigement artificiel, pratiques agricoles )…

Le 3 juin, une rencontre a eu lieu en préfecture pour faire connaître leur inquiétude, leur désaccord argumenté face à la prolifération des projets. Les membres du collectif ont réclamé « une vision d’ensemble ». De côté des pêcheurs, ils demandent un « moratoire sur ces projets, une réflexion, une étude et mise en place d’alternatives à ces projets ».

Extrait article Dauphiné Libéré du 03 Juillet 2021

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